Séjour à Nice est un récit, en plusieurs épisodes, qui décrit les agréments de cette ville de la Méditerranée.
» Il y a quatre choses qu’on ne peut guère oublier en parlant de Nice.
C’est là qu’est venu mourir le violoniste Paganini après avoir ému l’Europe entière par l’accent inimitable de son merveilleux archet.
C’est là qu’Alphonse Karr, après avoir longtemps cultivé sa revue Les guêpes, dont l’essaim bourdonnant et redouté a fait tant de cruelles piqûres, s’est mis à cultiver les fleurs.
Le touriste, en suivant le quai du Paillon, voit tout à coup une enseigne se dresser avec ces mots qui font sourire les Parisiens : Alphonse Karr, jardinier.
Si c’est une fantaisie, elle est lucrative. En tout cas, j’aime mieux le second commerce d’Alphonse Karr que le premier : il vaut mieux fournir aux abeilles leur miel qu’aux guêpes leur poison.
Le troisième souvenir de Nice qu’il est impossible d’omettre, c’est le Paillon lui-même.
Les Niçois lui ont construit un beau quai, sous prétexte que le Paillon est un fleuve, et ils se fâchent contre les voyageurs qui prennent ce lit sans eau, où les marchandes de fruits viennent étaler leurs tréteaux, pour une route, demandant pourquoi on s’est donné la peine de rejoindre par deux ponts les deux bords de ce ravin aride, qu’il faudrait arroser pour y faire pousser quelque chose.
Il faut convenir que pendant la plus grande partie de l’année le Paillon est un fleuve problématique ; sans doute il mérite le nom de fleuve en tant qu’il a une issue ouverte sur la mer ; il pourrait donc mêler ses flots à la Méditerranée, mais il ne profile ni de ce droit, ni de cette issue, par une raison très simple et très péremptoire, c’est que la plus grande partie de l’année, il n’a pas d’eau.
Cependant, ni les quais destinés à le contenir, ni les ponts qui traversent son lit ne sont des objets de luxe.
Le fleuve problématique devient, en effet, à la fonte des neiges, un torrent très-réel.
Quand la débâcle arrive, et que les eaux descendent en nappes brillantes du haut des montagnes, alors on peut prévoir d’une manière certaine que le Paillon va paraître.
Aussitôt un messager entre dans le lit du fleuve el exécute une fanfare ; c’est un avis donné aux marchands qui ont usurpé le domicile du fleuve absent de déguerpir au plus vite, parce que le Paillon, de retour des montagnes, va rentrer chez lui.
Il y rentre, en effet, et en maître. Il remplit en un instant de ses flots bouillonnants son lit un moment auparavant vide, précipite son cours torrentueux, qui souvent franchit les quais, et va déraciner au loin les orangers et les aloès qu’il entraîne vers la mer, où il se jette avec furie. »
Séjour à Nice (5) se poursuit avec l’épisode Séjour à Nice (6).