La Provence de Colette est une charge de la romancière contre les touristes qui ne savent pas apprécier ce beau pays.
« Naturellement, vous aimez la Provence. Mais quelle Provence ?
Il y en a plusieurs.
Les Provences avec un s
Une est toute nue, à peine voilée d’un maillot de bain à dessins cubistes, et noire d’un hâle étudié.
Elle trône sur des terrasses au bor de mer entre deux ou trois palaces et casinos.
Celle-là, je la salue à peine quand je la rencontre.
Une autre perche sur de petits monts aérés, secs, où tout est d’azur, le ciel, le silex pailleté, l’arbuste bleuâtre.
Il y a des morceaux de Provence gras, herbus, baignés de sources, de petites Provences italiennes, même espagnoles ; une Provence – peut-être est-elle ma préférée – maritime, pays de calanques d’un bleu qui n’est point suave mais féroce, de petits ports huileux qu’on ne déchiffre qu’à travers une grille de mâts et de cordages.
Une Provence forestière resserre, sous la longue ombre des pins parallèles, les parfums de la résine, et sous les chênes-liège crépus, écorchés vifs, erre un assez septentrional arôme, de fougère, de lichen ras, une fallacieuse annonce de truffe.
La multitude des touristes désole, chaque année, toutes les Provences.
La plaie des touristes
Optimiste, le touriste habite une villa, dix mètres de sable et cent brasses de mer, et ne bouge guère. Il se rôtit et mijote au bain-marie alternativement.
Pessimiste, il roule en auto, s’arrête pour boire, transpire, reroule et reboit.
Il dit : Ce pays serait ravissant si on n’y avait pas si chaud et si la nourriture était possible.
Partout il réclame son bifteck aux pommes, tendre à point, ses œufs au bacon, ses épinards en branche et son café “spécial.
Il fait observer que son estomac ne digère pas l’ail et que son médecin lui interdit la cuisine à l’huile.
Ce n’est certes pas pour la seule édification de ce Viking, de cet Anglais, de ce parigot, de ce Brandebourgeois, de ce citoyen d’Amérique, de ce Génevois, de ce Balkanique, que je prônerai l’excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus de l’ail, la transcendance de l’huile d’olive, et ma fidélité aux trois légumes inséparables, vernissés, hauts en couleur comme en goût : l’aubergine, la tomate et le poivron doux.
La Provence de Colette est un texte tiré de la revue “Vogue” de janvier 1929.