Amoureuse de Nice est un article qui raconte l’attachement de la diariste russe Marie Bashkirktseff pour cette ville idyllique.
« L’inlassable voyageuse Marie Bashkirtseff a aimé bien des villes : Moscou. Naples, Berlin, Paris et Rome.
Mais, c’est Nice qu’elle a le plus idolâtrée.
Elle y consacre dans son « Journal », avant que l’art l’ait complètement absorbée et faite Parisienne, des lignes ardentes.
Nice est sa ville. « Quoi que je dise, c’est ma ville. » A une autre date « La lune se montra brillante et pâle, éclairant toutes les beautés de ma ville. « Ma » ? Sans doute. Ma ville ! Je suis trop peu de chose pour qu’on vienne me contester cette propriété. »
Les vieux Niçois qui l’ont vue promener sa beauté et sa blancheur impressionnantes dans les jardins de la villa Acquaviva et de la villa Bacchi ou parcourir rêveuse, la promenade des Anglais sans chapeau, ses chiens en laisse, et les femmes de la rue de France, devant lesquelles elle tenait des propos sur la politique avec des jurons et des expressions de Nice, ont-ils jamais pensé la lui contester ?
« Nice, c’est ma patrie, Nice m’a fait grandir, Nice m’a donné la santé, les couleurs fraîches ».
Emouvante reconnaissance !
Mais Marie Bashkirtseff aime Nice avant tout parce que nulle part elle n’a joui d’un plus beau ciel, d’une plus jolie mer, d’un plus extraordinaire spectacle naturel. Et elle chante sur tous les tons :
« Nice est belle ! Nice est adorable ! Y a-t-il une plus jolie ville au monde ? »
Elle avoue que, pour elle, Nice c’est la promenade des Anglais.
Ajoutons-y, délicieuse Marie, la rue de France « avec ses vieilles masures italiennes et ses ruelles aux clairs obscurs si pittoresques ». Il est vrai qu’elle n’y allait pas souvent dans ces quartiers et qu’à chaque retour de ses voyages elle s’enfermait dans sa luxueuse villa, n’interrompant ses études et ses confessions que pour s’extasier devant la mer, le château et la promenade.
La mer et le ciel : voilà en vérité ce que fut Nice pour elle. Avait-elle tort ?
« On se lève avec le jour et on voit paraître le soleil là-bas, à gauche, derrière les montagnes qui se détachent en vigueur sur le ciel bleu, argenté, si vaporeux et doux qu’on étouffe de joie. Vers midi, il est en face de moi ; il fait chaud, mais l’air n’est pas chaud ; il y a une incomparable brise qui rafraîchit toujours. Tout semble endormi. Il n’y a pas une âme sur la promenade, sauf deux ou trois Niçois assoupis sur les bancs. Le soir, encore le ciel, la mer, les montagnes.
Elle se permet parfois de dire du mal de Nice, mais c’est comme quand on aime bien ; si elle se surprend à haïr sa ville adoptive, c’est qu’elle est à ce moment-là ou contrariée ou chagrinée, et ce n’est pas sérieux.
Mais elle n’hésite pas à déclarer que « passer l’été à Nice, c’est perdre la moitié de sa vie » ? Les étés à Nice la tuent ! Il n’y a personne ! C’est un affreux désert !…
Cependant, qu’on l’éloigne de Nice ou qu’elle s’en éloigne elle-même, elle sentira aussitôt tout son attachement pour la jolie ville :
« Il y a je ne sais quel regret de quitter Nice. »
Les actes d’adoration du « Journal » sont dictés tantôt par le regret du départ, tantôt par le désir ou la joie du retour. « Après une si longue absence, le ciel de Nice me transporte. Je me sens bondir en respirant cet air pur, en regardant ce ciel transparent. »
Elle est à peine arrivée, qu’elle ouvre la fenêtre pour « voir le château » et qu’elle s’écrie de toute son âme : « Je suis bien fatiguée… mais j’aime Nice… j’aime Nice ! ».
Cette passion la surprend : « 0 Nice, je ne croyais pas la revoir avec de tels transports ! »
Et elle conclut : « Vivre dans une autre ville que Nice est-ce possible ? ».
Les chansons de Nice, la langue de Nice et son accent semblent l’avoir toujours profondément émue. Quand elle en a l’occasion elle parle niçois.
Aujourd’hui pour l’étrangère ou la grande dame, ce langage n’est convenable qu’au marché pour obtenir un rabais sur des légumes ; pour Marie Bashkirtseff, la Russe polyglotte, parler niçois était un amusement et un enchantement. « J’ai dit ce que je savais en niçois. En un mot, triomphe populaire. La marchande de pommes me fit la révérence en s’écriant : « Che bella regina ! »
En Russie, elle demande à son domestique de lui chanter une chanson de Nice ; elle-même, revenant de voyage, « s’égosille depuis Antibes à chanter des chansons niçoises. »
Dans les dernières années, elle unit dans une même adoration Nice, le Midi, la Méditerranée.
Alors, qui donc l’empêcherait, sentant les progrès de son affreux mal, de venir le tuer dans la lumière, dans l’air et dans le soleil bienfaisants de sa ville ? «
Amoureuse de Nice est un texte découvert dans le journal « L’Éclaireur du dimanche » du 2 septembre 1923.