Le Carnaval de Nice en folie est le quatorzième épisode d’articles consacrés à l’histoire du Carnaval de Nice.
« L’élan était donné et la renommée du Carnaval de Nice se propagea en Europe.
Après l’annexion à la France, de 1869 à 1870, le cours Saleya servit de cadre à des Corsi fort animés.
Ce qu’était le Carnaval en cette période, Emile Négrin va nous l’évoquer par la description suivante :
« La trompette a donné le signal.
Sur le rebord de la terrasse Visconti, une longue ligne de caisses remplies de mitraille ressemble à une ligne d’obusiers et est desservie par des artilleuses en gants jaunes.
Excitées par ce barbarisme celles-ci font un feu bien nourri ; avec de la farine, cela n’est pas difficile.
Derrière elles, les hommes les plus distingués de l’Europe, redevenus gamins pour un instant, les soutiennent par une fusillade de minotiers.
Des chars garnis de banderoles et de feuillages s’avancent lourdement comme les éléphants de Pyrrhus ; ils s’arrêtent devant la tour Malakoff de Visconti, une lutte acharnée s’engage aussitôt pour quelques minutes.
Les combattants ont abaissé leur visière, sorte de grillage en menus fils de fer qu’on vend pour la circonstance.
Des bouquets, des confetti montent, descendent, se heurtent, crépitent comme la grêle sur les armures des chevaliers. Il pleut des épigrammes, il jaillit des sarcasmes.
La farine jetée d’en haut, lancée d’en bas, à pleines mains, à pleines écopes, à pleins sacs, se répand dans l’air ainsi que les plumes chez les Scythes ; on la respire, on en perd la vue, on en est couvert.
Les dames poussent des cris aigus, les soldats de Momus poussent des éclats de rire.
Les chiens aboient, les chevaux hennissent, piaffent, se cabrent ; ils ne cessent de secouer ces balles qui les picotent ; ils s’impatientent ; ils finissent par emporter au galop et cocher et charriot et soldats.
Un autre char se présente, puis une foule d’autres, puis les premiers reviennent ; alors on se venge, on prodigue ses restes, on se porte des coups plus poudreux.
Les munitions s’épuisent avec une rapidité effrayante. Visconti, le fournisseur d’armée, n’y peut tenir tête ; sa maison est sens dessus dessous. Sur tout le périmètre du Cours ont lieu des combats analogues.
Les maisons suent de la farine, ainsi que les vieux moulins à vent. La file des chars, des voitures, des charrettes, des cavaliers et des masques tourne, tourne, tourne.
A quatre heures, on ne reconnaît plus ni personnes, ni habits ; des meuniers, rien que des meuniers. Les agents de police même sont saupoudrés.
Au milieu du Cours, les fantassins se battent comme des démons, sauf la couleur. Des jeunes gens circulent avec d’énormes besaces pendues à leur côté ; ou devine ce qu’elles contiennent ; pif à la figure de celui-ci, paf à la figure de celui-là, pouf à leur propre figure ; des prêtés pour des rendus, la réciprocité est à l’ordre du jour. Mêlée, confusion, brouhaha.
Les grisettes passent à l’étal de blocs enfarinés ; leurs amoureux leur versent littéralement la poudre blanche sur la coiffe, sur le châle, dans l’échine.
L’un a reçu quelque chose dans l’œil, il crie ; son ami crie, tout le monde crie. La musique du régiment perd ses poumons à souffler dans les cuivres, on ne l’entend pas.
Dominos, titis, débardeurs, bédouins, incroyables, charlatans, marins, arlequins, arlequines, spectateurs, spectatrices se croisent dans leur blanche uniformité.
Malheur à la redingote ou à la robe qui se présente immaculée ! Sans-Souci en fait son affaire.
C’est curieux, c’est plaisant, cela amuse : je le recommande aux gens de mauvaise humeur.
Enfin la bataille se termine. Peu à peu on s’éloigne, on va s’épousseter, se brosser, se laver, se peigner : quitter le masque du Carnaval pour reprendre celui de la société. A l’an prochain… et in pulverem reverteris.
Celte description reproduit le tableau du Carnaval qui se fit jusqu’en 1870. »
Le Carnaval de Nice en folie se poursuit avec l’épisode intitulé « Le Comité d’organisation du Carnaval de Nice ».