Jours dorés à Juan-les-Pins est un récit qui raconte l’envahissement des plages de la ville par les touristes en été.
” Autrefois, lorsque les belles dames craignaient le hâle et gardaient pour leurs boudoirs « une pâleur distinguée », on n’allait à Nice qu’en hiver.
La Côte d’azur d’hier
La Côte d’Azur vivait par le romancier Jean Aicard, on parlait peu du vin de Cassis, les calanques étaient un terme géographique et le golfe Juan l’endroit où débarqua Napoléon.
Edouard VIl, alors prince de Galles, promenait se bedaine sur la Croisette de Cannes et l’on soignait les maladies de langueur à coups de chaises longues.
L’écrivain Jean Lorrain faisait des mots, tandis que les Vénus bien en chair et empanachées jetaient des piles de louis d’or sur le tapis vert de Monte-Carlo.
Beaucoup de Russes, on les appelait alors des « boyards », entretenaient un feu roulant de jolies filles qui sifflaient sans vergogne des magnums de Champagne ou faisaient des concours de seins dans les arrière-salles des restaurants où circulaient, silencieux, les maîtres d”hôtels à favoris, reflets vivants dss amiraux en civil.
Aujourd’hui, tout a changé.
La Côte d’azur d’aujourd’hui
Armé de millions, on a tailladé la Corniche, loti la côte, creusé des piscines.
On ne craint plus le soleil, on le cherche, et chaque petit golfe du rivage voit débarquer chaque année la procession serrée des fidèles de la crème à bronzer.
C’est un paradis où l’on se promène le plus nu qu’il soit possible, la fête du torse bronzé, une existence infernale où le somrneil, semble banni au profit d’une succession ininterrompue de fêtes, plus vides les uns que les autres.
Vu d’un peu loin, cela peut ressembler aux plages nordiques, le soleil en plus.
Il y a des corps nus, bronzés, rosés, rougis, affalés, blottis, lovés, arqués, des taches de lumière, rouges, blanches, bleues, vertes comme vous voudrez.
Une mer qui reste comme un ciel de chromo, une rumeur de bavardages qui s’enfle brusquement et brusquement s’éteint.
Pas la plus petite place pour l’arrivant sur la plage de Juan-les-Pins, mais un miracle continuel qui veut que chacun se case et disparaisse comme happé par l’invisible Léviathan que constitue ce magma humain.”
Jours dorés à Juan-les-Pins est un extrait du journal “Écoutez-moi” du 4 août 1934.