Un soir de réveillon à Nice (4) est la suite d’un conte de Noël qui raconte le désespoir amoureux d’une jeune couturière.
” Alors, elle me raconta ce qu’elle appelait sa chienne de vie.
Une couturière amoureuse
Elle s’appelait Anna. Elle habitait dans le Vieux Nice une de ces rues qui pourrissent au soleil avec des odeurs d’égout, de lessive, d’étal de tripier. Il y a quelques milliers de filles comme elle, au corps doré, moulé, de statuette florentine qui montent chaque soir les escaliers gluants d’un taudis. Son père, un maçon piémontais, était mort à l’hôpital. La mère était plongeuse dans un restaurant.
Anna était couturière. Un matin, elle avait rencontré sur le palier un violoniste napolitain dont l’archet, dans les cours des immeubles de Cimiez, faisait pleurer les bonnes.
Il se nommait Angelo. La deuxième fois qu’il vit Anna, il se mit à genoux, se frappa la poitrine et jura sur la Madone qu’il se tuerait pour elle. Il avait des yeux langoureux, une voix de ténor au fond de laquelle il y avait toujours un sanglot. Le soir il s’enfermait dans sa chambre et jouait des sérénades passionnées pour Anna qui glissa dans ses bras.
Alors, le violoniste commença de l’attendre tous les samedis à la sortie de l’atelier. Elle lui donnait sa paye. Il partait en sifflant. Anna passait près de lui des nuits tourmentées. Parfois, Angelo se levait, jurait qu’il avait offensé la Madone et chassait Anna en la traitant de « serpent venimeux » ou de « fille perdue ».
Elle pleurait sans se plaindre, le suppliait d’être indulgent, car elle l’aimait.
Trahie
Mais depuis une semaine, la porte d’Angelo restait close. « Il a dû avoir des ennuis avec la police », avait répondu le patron du bar où l’Italien fréquentait des gens louches.
Or, Anna avait appris qu’Angelo s’était mis en ménage avec une figurante de cinéma qui gagnait, dans un film russe, 120 francs par jour. Elle les avait rencontrés tous les deux à la Foire, enlacés, devant une loterie aux pigeons.
C’est pourquoi elle avait voulu se noyer.
Elle répéta :
— Je le hais. J’en prendrai un autre et il le saura.
Elle mordait alors dans une tarte aux pommes et parlait de l’amour avec une bouche sucrée. “
Pierre Rocher en 1935.
Un soir de réveillon à Nice (4) a une fin que vous pouvez découvrir en cliquant ICI.