La Princesse Marie Bonaparte

par JMS
La Princesse Marie Bonaparte

La princesse Marie Bonaparte est une femme de lettres et une psychanalyste qui a contribué à faire connaître Sigmund Freud en France.

Elle l’a également aidé à quitter l’Autriche et à échapper aux nazis.

Une biographie rédigée dans les Annales de l’Institut Pasteur permet de mieux connaître sa vie et son oeuvre.

“Arrière-petite-nièce de Napoléon, Marie Bonaparte était née le 2 juillet 1882 à Saint-Cloud dans la grande maison paternelle, au milieu d’un parc ombragé d’arbres aux essences rares, où elle passa les dernières années de sa vie.


Sa mère avait été enlevée par une embolie peu après sa naissance, et la petite orpheline fut élevée, solitaire, par sa grand-mère, la princesse Pierre Bonaparte.


Son père, le prince Roland, petit-fils de Lucien Bonaparte, pour qui elle éprouvait une admiration émerveiIIée, avait du quitter l’armée lorsqu’en 1886 une loi en expulsa les princes des maisons ayant régné en France.
Membre de l’lnstitut, il se plaisait a recevoir chez lui ses collègues frangais et étrangers, et les discussions qu’entendait la petite princesse éveillèrent très tôt le goût de la connaissance dans son intelligence étrangement précoce.


Dès qu’elle atteint l’âge d’apprendre, elle assimile avec joie les leçons ardues de mathématiques, de physique, de chimie ou de physiologie que lui dispensent ses précepteurs, car il n’est pas question pour elle de suivre les classes d’un lycée.


Mais elle dévore les livres et elle apprend avec une facilité déconcertante pour ses maîtres.

Princesse de Grèce


Son rêve eut été de continuer ses études à l’Université et de faire sa médecine : de telles activité étaient alors inconcevables dans son milieu et elle ne peut obtenir même l’autorisation de passer son baccalauréat.

Le 2 décembre 1907, elle épouse le prince Georges de Grèce, frère du diadoque Constantin, qui, après être sorti de I’Ecole Navale de Copenhague, avait été nommé lors des événements de 1897 Haut-Commissaire des Puissances en Crète.


Sa vie eut du normalement se partager désormais entre la Cour de Grèce et celle de Danemark, et son horizon se limiter à des déplacements à travers les maisons princières d’Europe.


Mais il lui était impossible de se résigner à abandonner complètement l’atmosphère intellectuelle qui avait baigné son enfance, et c’est à Paris qu’avec son époux elle fixa sa vie.


C’est là que se sont déroulées, entrecoupées par de nombreux voyages, sa vie familiale, sa carrière de psychanalyste et d’écrivain.


Les guerres balkaniques de 1912 où sa nouvelle patrie, la Grèce, devait trouver l’aboutissement de l’indépendance et l’achèvement provisoire de son unité nationale, lui furent l’occasion de manifester l’activité généreuse qui était le fond même de sa nature : elle équipa à ses frais un navire-hôpital qui servit à l’évacuation des blessés, et qui fonctionna encore lorsqu’en 1914 la première guerre mondiale éclata, ébranlant le monde et transformant radicalement la société qui l’avait vue naître.


La paix revenue, la princesse de Grèce reprit sa vie parisienne et retourna a ses études. En 1920, elle publiait sa première oeuvre, Guerres militaires et guerres sociales, où s’affirmait la maturité de son esprit. Des études littéraires suivirent.

Rencontre avec Freud


Mais la rencontre de Sigmund Freud allait orienter définitivement son activité.


La princesse Marie avait toujours fortement ressenti I’attirance intellectuelle exercée par la pensée des génies novateurs dans le domaine de l’esprit.


Enfant, elle avait subi l’influence de Camille Flammarion ; adolescente, celle du philosophe Gustave Le Bon.


Dans sa recherche de la vérité à travers les doctrines philosophiques et dans sa passion grandissante pour l’étude de la nature humaine, l’influence de Freud allait être décisive en lui permettant d’associer pour la psychanalyse ses connaissances philosophiques, sa culture scientifique et son sens profond de la psychologie.


Apr6s deux ans passés à Vienne auprès du maître de la psychanalyse, elle publie en 1928 son premier travail psychanalytique, la traduction d’un ouvrage de Freud, Un souvenir d’enfance de Leonard de Vinci.


Bien que dès ses premiers écrits la princesse eut repris pour signature son nom de jeune fille sans l’accompagner d’aucun titre, la publication fit à la fois sensation et scandale autant par la personnalité mondaine du traducteur que par le sujet traité relatif à la sexualité.


Mais l’élan était donné, et dorénavant Marie Bonaparte, puisqu’elle signera ainsi désormais, allait se consacrer à l’étude et à la diffusion de la psychanalyse.

Production littéraire


Fondatrice en France du premier Institut de Psychanalyse, en 1934, elle publiera un grand nombre d’ouvrages dont plusieurs, traduits en différentes langues, ont atteint une renommée universelle. Citons parmi ceux-ci : Les Mythes de guerre (1946), Monologues devant la vie et la mort (1951), Chronos, Eros, Thanatos (1952), La sexualité de la femme (1951), L’Introduction de la théorie des instincts (1951), Psychanalyse et biologie (1951), Psychanalyse et anthropologie (1952), et l’ouvrage monumental sur Edgar Poe (1933) auquel elle a consacré deux gros volumes.


La princesse Marie Bonaparte travaillait encore à un essai sur Pasteur lorsqu’elle succomba après une courte maladie à Saint-Tropez le 21 septembre 1962.


Conformement à sa volonté constamment exprimée et aux convictions rationalistes d’une intelligence demeurée lucide jusqu’au bout, ses obsèques se déroulèrent sans pompe religieuse, et après incinération, ses cendres ramenées en Grèce furent ensevelies dans le cimetière royal de Tatoi au pied de la tombe où reposait depuis 1957 son mari le prince Georges.


Si l’on considère le milieu auquel elle appartenait, les conditions dans lesquelles elle fut élevée et l’esprit de l’époque où elle s’est épanouie, la réussite de la princesse Marie dans le domaine intellectuel où elle s’est exercée nous apparaît comme un phénomène exceptionnel, effet d’une irresistible vocation : il lui avait fallu pour arriver à ses fins de rares dons, soutenus par une volonté égale a son intelligence.


Mais ni l’intelligence ni la volonté n’eussent pu suffire sans les dons du coeur.


La recherche de la vérité a profondément marqué de son empreinte la vie et les rapports humains de la princesse Marie.


Il lui fallait participer a la vie même des êtres qui l’attiraient.

Exfiltration de Freud


Dès l’avènement du nazisme elle retourne à Vienne, elle organise le départ de Freud, dirige l’accueil de nombreux persécutés et réfugiés ; pendant la seconde guerre mondiale elle est aux côtés des partisans grecs et elle quitte l’île de Crête envahie par les parachutistes allemands avec les derniers avions qui emmènent la famille royale vers l’exil sud-africain.


La princesse Marie Bonaparte va étudier la psychologie des peuplades primitives dans l’Amazone et au Congo, discuter philosophie avec les moines tibétains de Lhassa réfugiés dans le nord de l’Inde, s’entretenir avec Caryl Chessman dans sa cellule de condamné à mort.


Après la deuxième guerre mondiale, elle était retournée au milieu des pelouses et des arbres seculaires dans la vieille maison de son enfance à Saint-Cloud.


Découverte de Saint-Tropez

Elle passait ses étés à Saint-Tropez dans sa propriété du Lys de Mer, à la pointe des Salins que lui avait fait connaitre Emile Ollivier alors qu’elle avait vingt ans et qu’elle séjournait à Valescure, et dont la beauté l’avait tellement frappée qu’elle devait, en 1924, acquérir le terrain en bordure immédiate du domaine de la Moutte où s’élève le tombeau d’Emile Ollivier sur un promontoire battu par les embruns.


C’est là que la mort est venue la surprendre, après un dernier voyage en Grèce où elle avait été revoir la Crête, l’île de Minos si étroitement liée à son propre destin.


Tous ceux qui ont approché la princesse Marie Bonaparte garderont le souvenir d’un être hors ligne, d’une nature étonnamment douce et d’une femme dont la séduction intellectuelle s’alliait aux trésors d’une infinie bonté.”


Extrait des “Annales de l’Institut Pasteur” de mars 1963.

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