Un soir de réveillon à Nice (5) est la fin d’un conte de Noël qui raconte le désespoir amoureux d’une jeune couturière.
Il était près de minuit. Je calculai que la nuit était assez entamée pour que je n’aie point à la regretter.
Musique du soir pour le réveillon
Je pensai à commander du Champagne. A ce moment, deux musiciens, qui étaient entrés depuis quelques instants, attaquèrent le grand air de Martha. J’avais remarqué le violoniste : un bellâtre au masque romantique, qui soupirait en frottant son archet sur le bâton de collophane. Anna lui tournait le dos.
Mais lorsqu’elle entendit les premières notes de la mélodie, elle pâlit et je la sentis trembler.
— C’est lui, murmura-t-elle. Je reconnais « mon air ».
Elle ne bougea plus.
L’avait-il vue ?
La tête penchée, il paraissait pleurer avec son violon, et des femmes à une table voisine écoutaient avec un trouble étonné cette confession sentimentale qui n’était plus Martha.
Amour d’un soir de réveillon ?
Lorsqu’il eut fini, Anna se leva brusquement.
— J’ai quelque chose à lui dire, me lança-t-elle. Son visage s’était de nouveau contracté. Elle marcha droit vers lui. Il ne broncha pas.
Elle l’interpella en italien. Il répondit d’une voix veloutée. Il s’excusait, expliquait je ne sais quelle histoire pleurnicharde. Cela dura plusieurs longues
minutes. A son tour elle parla. Sa voix à elle aussi s’était attendrie. Il s’agissait de moi certainement car, à plusieurs reprises, il me regarda.
J’étais gêné. Je demandai une liqueur.
Alors ils vinrent tous les deux.
— Angelo m’aime toujours, me dit-elle. Il voudrait vous remercier.
Joignant les mains, secouant la tête de droite à gauche, essuyant une larme, se frappant le cœur, mêlant l’italien obséquieux et le français des flatteurs, Angelo me suppliait de garder Anna.
— Ze l’aime. Ze l’aime trop. Mais zé souis qu’une pauvre artiste. Zé loui ai dit, Monsieur est certainement d’une bonne famille. Il te protégera. Moi ze n’ai que mon violon. Dites-loui, Monsieur, qu’elle m’oublie. Ça me déchire le cœur… Elle est si bella…
Seul depuis un soir de réveillon à Nice
Ils sont partis tous les deux. Angelo voulait m’embrasser. J’ai serré un peu plus longtemps que je n’aurais dû la petite main d’Anna. Elle a eu un sourire triste…
Depuis, je me suis attardé bien des fois dans le Vieux Nice. J’ai bu du vin noir épais dans les bars où fréquentent les Italiens. J’ai écouté la plainte des accordéons. J’ai interrogé les filles qui me répondaient en secouant la tête…
J’ai cherché, vainement cherché : je n’ai jamais revu Anna.”
Ainsi se conclut le dernier épisode Un soir de réveillon à Nice (5), conte de Noël de Pierre Rocher publié en 1935.
Vous pouvez retrouver le début du conte en cliquant ICI.