Naufrage devant le port de Nice est un récit qui raconte une régate chahutée par un vent violent.
» Vous souvient-il de l’époque lointaine où les yachts de Marseille et leurs hardis équipages venaient prendre part à nos régates ?
L’aspect du port de Nice était d’une extraordinaire originalité !
Les Marseillais à Nice
En face l’hôtel de la Marine, les eaux disparaissaient sous ces radeaux, gréés en houaris, avec lesquels les « canotiers marseillais » accomplissaient les plus étonnantes prouesses.
Sur le quai bouillaient, dans des marmites culottées, de succulentes soupes au poisson et à l’ail, qui parfumaient tout le quartier, tandis que des lazzis, des cris, et de gais appels se croisaient dans les airs, en cette langue de Mistral si imagée, qui se plie avec tant de souplesse aux caprices de l’esprit facétieux.
D’énormes yachts sortaient majestueusement du port, derrière leurs remorqueurs et des grappes de matelots s’affalaient le long des mâts, avec les drisses, pendant que d’autres bordaient les grandes voiles, sur leurs longues baumes, en chantant le hisse oh! des appareillages.
C’était du temps de Phare d’Alcyon et autres fins voiliers, alors que ce bon M. Olive, de Marseille, le vainqueur des vainqueurs, venait chanter, le soir, au Club Nautique « La Lisette », de Bérenger, aux applaudissements enthousiastes des coureurs.
Le vieux marin venait de Marseille pour chaque régate, à bord de son houari, dont l’installation intérieure ne consistait guère qu’en deux ou trois planches formant étagères.
Sur l’une d’elles, parmi les voiles de rechange, les poulies, les cordages, les sacs et les valises de l’équipage, était posée la boîte, recouverte de toile goudronnée, contenant le chapeau haut de forme, cher au cœur de l’excellent homme.
Chapeau sur la tête
Quand arrivait la saison des régates, le vieux racer était nettoyé, peint en vert, ou en bleu, avec un beau liston plus foncé, et on le lançait sur la mer et bientôt de nouvelles victoires venaient augmenter encore l’immense collection de médailles et de diplômes que possédait M. Olive.
Un jour cependant, le yacht se faisant vieux, ainsi que son sympathique propriétaire, la guigne survint…
Je vois encore le ciel sombre, de gros nuages noirs, un grain du diable sur une mer fumeuse, blanche d’écume, quoique peu creusée…
A bord de Flamberge nous courions sur la ligne d’arrivée, après le virage de la bouée du port. Le Phare était en tète ; nous étions quatrième, il n’y avait que trois prix, quand, soudain, par le travers de Rauba-Capeu, emportés par la rafale, nous passâmes, avec une vertigineuse vitesse, à côté du célèbre coureur, démâté, rasé comme un ponton.
M. Olive, debout à l’avant de l’épave, venait de camper sur sa tête le chapeau haut de forme, sauvé des eaux qui avaient envahi le petit navire.
Redressant sa haute taille, les bras croisés, triste, mais digne, il contemplait le désastre, tandis que le soleil, à l’horizon trouant les nuages moins épais, lançait des rayons verts et rouges sur la mer et le naufragé.
Du coup nous eûmes le troisième prix ! Mais ce fut une des dernières courses de M. Olive el, il ne vint jamais plus, au punch des régates, nous chanter « La Lisette »… »
Naufrage devant le port de Nice est un texte repêché dans la revue « Yachting gazette » de 1901.