L’Impératrice et les fraises de Nice est un récit qui raconte une anecdote amusante à propos de ce fruit particulièrement apprécié par la souveraine de Russie.
» L’impératrice douairière de Russie était très friande de fraises.
Son maître d’hôtel devait, coûte que coûte, lui en procurer.
En 1860, elle fit un séjour à Nice à la villa de Orestis, promenade des Anglais et, naturellement, ce fut la ferme d’Alphonse Karr qui alimenta la table impériale de ce délicieux fruit.
Un curieux incident faillit tout gâter. L’anecdote est savoureuse. Goutez-là.
L’impératrice visite un jour avec une nombreuse suite, le jardin Alphonse Karr, alors en pleine splendeur, jardin qui occupait- le vaste quadrilatère dont les boulevards Gambetta et Tzarevitch forment l’angle principal.
On n’avait pas prévenu l’écrivain-jardinier qui s’en offusqua. Il se retira dans son cabinet.
Des voisins accourent pour le prévenir de se présenter à l’impératrice.
Il refusa :
— Pas le moins du monde, dit-il.
Si Sa Majesté m’avait fait prévenir qu’elle désirait visiter mon jardin, je serais allé la recevoir à la porte de la ferme avec tous les respects qui lui sont dus comme femme et comme impératrice.
Et il ne bougea pas.
Le soir, on en parla dans les salons de la résidence impériale. L’écho en arriva jusqu’à l’office.
Aussi, le lendemain matin lorsque la paysanne de la ferme y porta, comme chaque jour, sa corbeille de fraises, on la renvoya sous prétexte qu’on n’en avait nul besoin et que, d’ailleurs, elles étaient trop chères.
Alphonse Karr consola la jeune fille éplorée et défendit ne plus rien vendre aux gens de la maison de l’impératrice.
Deux jours après, à l’aube, le maître d’hôtel accourait tout penaud à la ferme pour s’excuser et insister qu’on lui vendît des fraises à n’importe quel prix, l’impératrice en voulait absolument.
Il n’obtint rien, Alphonse Karr ayant donné des ordres formels.
Au moment du déjeuner, le maître d’hôtel, pâle et ému s’approchait de l’impératrice pour lui expliquer l’absence des fraises qu’elle avait demandées, lorsqu’il, aperçut sur la table impériale un panier de ces fruits savoureux qu’une main discrète avait placé là.
Le panier portail épingle un carton sur lequel l’impératrice amusée lut ces mots :
» Le jardinier refuse formellement d’en vendre, mais M. Alphonse Karr vous prie de lui accorder la permission de vous en offrir tous les matins durant votre séjour à Nice. »
L’Impératrice et les fraises de Nice est un texte extrait du journal « La Semaine à Paris » du 17 octobre 1930.